Comment diriger le Burkina d'après Blaise Compaoré ?
Burkina Faso : quelle boussole ?
Le capitaine Blaise Compaoré qui pensait, pour des raisons qui sont propres, être un homme fort, a été terrassé par son peuple. Les gueux ont triomphé d’un demi-dieu, comme David de Goliath ! Ces « gueux » ont été plus forts parce qu’ils ont trouvé une arme imparable : « Notre nombre est notre force ! » ont-ils clamé. Comme je l’écrivais il y a juste quelque temps : « : « Tant que le crapaud n’est pas tombé dans de l’eau chaude, il ignore qu’il y a deux types d’eau ! » Blaise doit tomber dans de l’eau chaude. Il le faut pour son bien et le nôtre ! Dans le film Shooter Tireur d’élite, un sénateur américain dit : « Il y a toujours un farfelu qui croit qu’un homme peut faire la différence à lui seul. Et il faut l’éliminer pour lui prouver qu’il se trompe ! C’est le problème des démocraties. »[1] !!!
Le capitaine sanguinaire a donc été honteusement chassé du pouvoir, lui qui avait fini par penser qu’aucune autre manière de vivre ne lui convenait, demi-dieu qu’il pensait être devenu. Mes frères et sœurs, personne n’est plus fort qu’un peuple déterminé. Tous les dictateurs devraient l’apprendre. Je doute cependant que ces genres d’individus puissent jamais comprendre ce que nous disons. Bref, cela est leur problème. Si c’est leur destin de regarder et de ne pas voir, d’écouter et de ne point entendre, qu’ils l’assument.
Blaise, c’est donc le passé. Nous devrions maintenant tourner notre regard vers l’avenir. Que faudra-t-il maintenant faire, pour effacer définitivement le long cauchemar d’une trentaine d’années que nous venons de vivre ? Faudra-t-il conserver ou effacer la quatrième république ? Sinon, comment faudra-t-il s’y prendre pour qu’un bon nettoyage de nos textes fondamentaux puisse répondre mieux à notre pays, à nos enfants, à notre peuple ? Si oui, de quelle manière faudra-t-il fonder nos prochains textes de la cinquième république pour atteindre le bonheur auquel nous sommes en droit d’aspirer ?
On le comprend donc, quel que soit le bout par lequel on le prend, il nous faut de nouvelles dispositions statutaires mieux à même de conduire notre vie commune. S’il est logique de croire que ce sera l’affaire de spécialistes, juristes constitutionnalistes notamment, il n’est cependant pas inutile de penser que le matériau nécessaire à ces dispositions doit être l’affaire de tous. Notre propos se situe à ce niveau.
La chose la plus importante qu’il faut relever à ce niveau, c’est qu’il n’est pas acceptable qu’ayant existé depuis des millénaires, avoir fondé et géré des Etats depuis le IVe millenaire avant J.C., nous Africains ne puissions pas avoir une touche du crû dans un texte du genre de celui que nous envisageons. Qu’est-ce à dire ? Je pense tout simple que l’essentiel de notre constitution ne doit pas venir de l’Occident même si le modèle d’Etat que nous avons aujourd’hui, vient de chez eux. Je pense personnellement que cela serait toujours une perpétuation de cette paresse intellectuelle que nous autres « intellectuels » véhiculons depuis les indépendances africaines. Il est temps de corriger une telle anomalie. Comme le stigmatisait déjà le prof. Joseph Ki-Zerbo, allons-nous perpétuellement nous contenté d’utiliser et de nous coucher sur les nattes des autres, comme si nous étions lépreux et n’avions pas de mains pour tresser la notre ?!
Sans entrer dans les détails, je pense à certains éléments qui ne pourraient pas ne pas être mentionnés dans notre texte fondamental :
- La chefferie traditionnelle. Tout en relevant la difficulté qu’il y aurait à faire figurer la chefferie traditionnelle dans la constitution, j’estime qu’il n’est pas normal qu’elle y manque totalement pour une gestion cohérente de notre Etat. La gestion de la dernière phase de la crise consécutive à la chute du clan Compaoré et de celle qui a succédé immédiatement à la fin de son régime, le démontre amplement. Pratiquement tous les responsables civiles et militaires ont passé par la cour du Mogho Naaba entre le 28 octobre et aujourd’hui (4 novembre). L’histoire indique que les pays qui ont été colonisés ont remis en selle leurs autorités traditionnelles, d’une manière ou d’une autre, une fois l’indépendance acquise. En fait, ce qui importe c’est beaucoup plus les invariants politiques que les personnes physiques qu’il faut intégrer. Comme les structures sont portées par des hommes, la confusion est souvent vite commise, il est vrai. L’un dans l’autre, à cette phase de notre évolution, il ne semble pas indiqué de faire comme si les chefferies traditionnelles n’existaient pas. Comment les intégrer, à quel niveau, quel écueil éviter pour une collaboration harmonieuse entre les systèmes, ce sera à nos spécialistes de les trouver. Prétexter ces difficultés pour écarter ces réalités sociales et politiques, serait une forfaiture !
- Les langues nationales. Une contradiction a toujours montré l’inconséquence de nos structures étatiques : l’utilisation incongrue des langues nationales. Si notre précédente constitution semble prendre en compte ces dernières (art. 35), cette reconnaissance n’était que factice car n’ayant aucune réalité concrète dans une mise en œuvre de l’Etat avec ces langues. Il me semble important, pour une constitution qui se respecte, que nos langues trouvent un meilleur traitement. Par exemple, il faudrait qu’elles soient forcément utilisées dans l’hémicycle et dans les principales structures de l’Etat. Il faudrait que certaines interventions de certains responsables soient nécessairement en langues nationales. Lesquelles et à quelles occasions ? La constitution devrait les prévoir clairement. Dans cette phase de notre évolution, l’on pourrait se contenter de quelques-unes dans un premier temps. Il devrait en outre être prévu que toutes les autres seront encouragées et pourront jouer tous les rôles au fur et à mesure que cela sera indiqué. Qu’on arrête enfin de parler du nombre trop élevé de nos langues pour leur dénier ce pour quoi elles été inventées et qu’elles ont admirablement réussi jusqu’ici. En écartant de manière aussi légère notre génie créateur que nos langues contiennent, on bâillonne l’élan de notre peuple. Si tant est qu’on veut trouver des solutions durables dans un texte qui nous fasse avancer le plus loin possible, l’utilisation des langues burkinabè devront enfin être prise en compte.
- La place de la femme dans l’appareil d’Etat. L’un des plus grands crimes que nos Etats ont commis, suivant en cela l’exemple de nos colonisateurs misogynes, c’est la minimisation du rôle que la femme devrait jouer dans l’appareil étatique. Sous un slogan fallacieux du genre « égalité entre les sexes », ceux pour qui elle n’a joué qu’un rôle négligeable dans l’histoire politique, ont réussi à nous embobiner sur des chemins sans lendemain. Notre négligence sur le rôle que devait assumer la femme dans la marche de l’Etat est à cet égard, la plus grande démonstration de notre ignorance de notre propre histoire. Nos intellectuels n’ont été à ce niveau que des moutons de Panurge. Il serait inadmissible qu’une telle erreur ne soit pas corrigée à cette phase de notre évolution politique. Au moins la parité devrait être prévue à un niveau quelconque de notre texte fondamental. Je pense par exemple à l’assemblée nationale. Au lieu d’imposer ce soi-disant sénat, il sera plus indiqué d’installer une assemblée bicamérale hommes-femmes avec le même nombre de chaque côté, mais siégeant dans deux chambres différentes. Les lois devraient être adoptées par l’ensemble du parlement. C’est à ce niveau seulement qu’on verra surgir le génie politique de la femme, tel que toute l’histoire de l’Afrique le montre, que ce soit au Danhomey au temps du roi Guézo, ou encore aux temps des Kandaka dans les royaumes de Méroé et Napata !
- Un serment digne de ce nom. Dans les Etats modernes les plus sérieux, la prestation de serments se fait sur des supports sérieux : Bible pour les uns, Coran pour les autres. Cependant, ces Etats ne sont pas nécessairement théocratiques. On sait quel est le cheminement qui a amené un pays comme la France à abandonné ce genre de serments. Une fois encore, nous (pays anciennement colonisés par ce colon) avons suivi. Quelle pourrait être la signification d’une prestation de serment la main posée sur la Bible ou le Coran ? Il semble que tout en se disant laïcs, les Etats ont compris qu’on a toujours besoin de se référer à plus grand que soi. De fait, ces gens ont compris que si la politique se mène par des hommes, son essence dépasse ce niveau. Ou plus exactement, l’arbitre doit avoir plus d’autorité que tous les joueurs et tous les spectateurs. Pour s’imposer, il faut avoir une autorité incontestable. Or quelle pourrait être l’autorité qui s’impose à tout le monde dans la société des hommes ? Il est clair que c’est le créateur lui-même. La Bible ou le Coran étant sensés être « Sa Parole », sont Sa représentation concrète. Voilà donc le pourquoi du comment. La spécificité de la représentation de Dieu par la société africaine, ne permet à ce que nous suivions les peuples de la Bible ou du Coran, même si pour la plupart nous sommes devenus chrétiens ou musulmans. C’est la raison pour laquelle nous devrions trouver une entité en laquelle nous avons tous confiance, à l’instar de Dieu pour être notre témoin, à ce niveau essentiel de la gouvernance de notre société. Il me semble que pour beaucoup de raisons, c’est notre Mère la Terre qui est la plus qualifiée pour jouer ce rôle. Il me semble donc normal que nos textes prévoient que les prestations de serments se fassent sur la Terre sacrée du Burkina Faso. Ce que les Mosse appellent le Tenkugri.
Je ne suis pas naïf. Je suis conscient qu’on aura une envie morbide de les balayer d’un revers de la main. Je les ai cependant faites pour être en conformité avec ma propre conscience. La quasi-totalité de nos intellectuels sont persuadés qu’une proposition venant du tréfonds de l’Afrique ne saurait avoir aucune espèce de consistance. Ils ont tort et nos points de vue prendront tôt ou tard le dessus. Du reste, ce que je viens de dire, qui n’est qu’un extrait infime des résultats publiés dans : « Sur le chemin de Maât : comment gérer l’Etat négro-africain »[2], suppose que de plus profondes refontes de l’Etat sont nécessaires. Mais chaque chose à son temps. Pour ceux qui seraient intéressés, elles sont exposées dans l’ouvrage.
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