Des ancêtres prestigieux
Des
ancêtres prestigieux n’apportent aucune protection
Le débat sur l’origine nègre de l’Egypte pharaonique est loin de prendre
fin. Pour ce lecteur la considération et le respect d’un peuple et d’une nation
ne dépendent pas du passé glorieux dont ils se revendiquent. Au passage, il
émet des doutes sur la négritude de la civilisation de la Vallée du Nil.
Réflexion faite, cet article me pose plusieurs problèmes, tant du point de
vue historique qu’idéologique. De ce point de vue, il me choque même par ce
qu’il sous-entend. Voyons d’abord les aspects secondaires. C’est une évidence
que la civilisation égyptienne est une civilisation africaine, personne ne le
nie puisqu’elle a pris naissance et s’est développée sur le continent africain.
De là à ce que les civilisations africaines soient des héritières de la
civilisation égyptienne, c’est autre chose. Y a-t-il d’ailleurs aujourd’hui
dans le monde une seule civilisation qui puisse se prétendre héritière de la
civilisation égyptienne antique ? Même les Egyptiens d’aujourd’hui n’en
ont gardé ni les mœurs, ni la religion, ni la langue, ni la philosophie.
L’Egypte antique a fortement agi sur sa zone d’influence : Soudan,
Ethiopie. Mais peut-on dire que cette civilisation est le fondement des
civilisations africaines comme la civilisation gréco-romaine est celle de la
civilisation d’Europe ? Notre manière de penser, notre philosophie, nos
sciences, une bonne partie de nos croyances et bon nombre de nos langues nous
viennent en droite ligne des Grecs et des Romains. Y a-t-il le même rapport
entre les Africains d’aujourd’hui et les anciens Egyptiens ? Il me semble
évident que non. Et cela n’a aucune importance. L’empire du Mali et celui du
Bénin ont suffisamment de prestige par eux-mêmes pour ne pas avoir besoin à mon
sens d’autres références. Et puis comme nous le verrons ensuite, là n’est pas
le problème. Pour ce qui est de la « race » des anciens Egyptiens, il
semble que toutes les recherches historiques et scientifiques (analyse des
momies entre autres) montrent que cette population est issue de métissages de
différents groupes humains qui au temps des grandes glaciations occupaient ce
qui allait devenir les Sahara. C’est donc une population essentiellement
africaine à dominante chamitique (berbère, touareg) métissée avec des éléments
sémitique, nubiens et négroïdes. Ensuite s’y sont agrégés des éléments du
bassin méditerranéen et d’Asie mineure. Accuser les savants égyptologues de
vouloir dissimuler que les Egyptiens
étaient des Noirs me semble une aberration. De fait ils ne l’étaient pas. Autre
remarque très secondaire. J’ai ouvert une vieille encyclopédie datant de 1977
que nous avons à la maison. Cheikh Anta Diop y figure et il y a même le titre
de ses ouvrages ; il ne faut pas faire de paranoïa ! Deuxièmement et
c’est le plus important, ce texte entretient quelque part que la grandeur, la
valeur et la fierté d’un groupe humain ne pourrait exister sans une filiation
avec une civilisation antique prestigieuse. Est-ce que la considération et le respect
doivent reposer sur le « respect » des ancêtres ? Les Papous,
les aborigènes d’Australie, les Indiens d’Amazonie, n’auraient-ils droit à
aucune considération parce qu’ils ne peuvent se rattacher à aucune civilisation
prestigieuse ? Doit-on pour cela leur dénier leur statut d’hommes et leur
droit au respect ? Je sais bien que c’est justement ce qu’on fait ou ce que continuent de faire
les colonisateurs et autres impérialistes, dominateurs et voleurs de tout poil.
Mais, s’ils avaient pu se revendiquer d’ancêtres prestigieux, cela les
aurait-il protégés de la rapacité ? Les Incas ont-ils été sauvés ?
Les descendants des Mayas aujourd’hui au Guatemala n’ont-ils pas ces dernières
années été victimes d’un génocide ? Des ancêtres prestigieux n’apportent
aucune protection. Ils ne donnent pas un lustre non plus à un peuple tombé dans
l’abjection. Les Africains et plus précisément les différents peuples d’Afrique
noire ont-ils besoin de se référer à une civilisation égyptienne, de s’en revendiquer,
pour être fiers d’eux-mêmes, de leur culture, de leur civilisation, et pour
exiger d’être traités sur le même pied d’égalité que tous les autres hommes et
toutes les autres civilisations ? La référence à une civilisation
prestigieuse n’excuse pas les fautes. Se revendiquer de la Rome antique n’a pas
protégé les Italiens de l’ignominie du fascisme et je pourrais citer d’autres
horreurs perpétrées par l’Europe si fière de son passé. A contrario des peuples
sans passé glorieux ont su parfois se montrer d’une humanité sans égal. Qu’est-ce
qui compte le plus, le passé, les ancêtres, les références ou bien le
comportement ici, aujourd’hui ? Un homme quelle que soit sa couleur, sa
race, ne vaut que par ce qu’il est et non par ce qu’ont fait ses ancêtres. De même
un peuple ne peut être responsable de ce qu’ont fait les générations
précédentes, ni en bien, ni en mal. Par contre, il doit être jugé sur ce qu’il
fait aujourd’hui. Vouloir se trouver des ancêtres illustres pour être fier, c’est
prouver que l’on doute de soi-même. Voilà l’état de mes réflexions.
Jean-Philippe DIEMERT
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 124 autres membres