Africa Renaissance

Africa Renaissance

Le problème des langues africaines

L'Afrique peut-elle faire l'économie des langues africaines dans la construction de l'Etat moderne ?

L'une des questions les plus controversées dans l'Afrique noire d'aujourd'hui, c'est peut-être celle de savoir si l'on peut ou non se passer des langues nationales africaines dans la construction des Etats modernes.

Même si pour l'instant ceux qui minimisent nos langues semblent plus nombreux, il est évident que leur position ne saurait être considérée ni comme rationnelle ni comme productrice. Elle n'est pas rationnelle, parce que c'est visible qu'aucun peuple, parmi ceux qui ont compté dans l'histoire, n'a adopté une attitude de rejet de sa langue. Si cela était une  bonne chose, on aurait eu dans l'histoire, au moins quelques cas du genre. Or apparemment c'est le désert complet à ce niveau. Il n'est donc pas rationnel que nous espérions inventer une loi entièrement nouvelle, dans la direction du comportement social des gens qui recherchent un chemin d'épanouissement. Cette façon de voir n'est point productrice non plus, parce que depuis que nous avons cette attitude d'adoption des langues étrangères, aucune invention ne semble possible à notre niveau. Nous sommes donc réduits à la profession de copistes et de consommateurs des produits y compris intellectuels d'autrui. Et cela s'explique simplement, entre autres, par la loi des nombres dans la montée vers l'invention. Plus un groupe est grand, plus les possibilités et même la probabilité de produire des génies de tous genres, deviennent importantes. Avec les langues héritées des colonisateurs, nous n'avons pratiquement aucune chance de donner une éducation à la fois quantitative et qualitative aux générations qui montent. Aucune ! Tant que nous adopterons cette attitude, il nous faudrait toujours choisir entre une éducation élitiste qui impliquerait nécessairement des gros moyens pour une quantité insignifiante de personnes, et une autre destinée à produire un grand nombre d'alphabétisés, de niveau très moyen et pratiquement inutilisables dans les faits. 

Ce qui conforte notre position, c'est l'histoire elle-même. Elle démontre que nous ne sommes pas les premiers à vivre cette situation. Même les Français qui sont nos références dans presque tous les domaines, sont passés par le même chemin. Il fut un temps en effet, où la France pays indépendant, avait une élite qui parlait latin. Ainsi les jugements des Français par exemple se faisaient en latin, une langue que le peuple ne comprenait pas. Parfois, des traductions étaient assurées en français pour ceux-ci dans certaines circonstances, comme ce qu'on fait aujourd'hui dans les langues nationales pour les Burkinabé qui passent en jugement. Il a fallut des élites conscients du ridicule de la situation, pour décider de traduire tout le savoir en français, et de faire des pressions pour que les dirigeants se décident enfin à entrer dans le jeu. L'un des groupes les plus importants dans ce travail fut précisément les Encyclopédistes comme Diderot, Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Condillac, Jaucourt, etc. Leur combat aboutit de même à l'adoption du français comme langue nationale de la France. Il est donc faux de croire que le français se soit tout naturellement imposée comme langue nationale. Il a fallu à un certain moment le décréter, politiquement !

Quand est-ce que les Africains qui nous dirigent, vont-ils comprendre que pour se développer, on ne peut pas se contenter de consommer ce que les autres produisent. C'est tellement simple à comprendre. Toute l'histoire de l'humanité indique que tous ceux qui ont progressé, ce sont ceux qui ont produit des créateurs et des inventeurs. La Révolution Démocratique et Populaire de Thomas Sankara avait un slogan significatif : « Produisons ce que nous consommons et consommons ce que nous produisons » ! Que cela était juste ! Seulement pour produire, il faut avoir et la matière, et les connaissances, et le génie. Tout le monde sait que l'Afrique ne manque pas de matière. En rien ! Les connaissances s'acquièrent dans une éducation digne de ce nom. Quant au génie, il apparaît avec les grands nombres. Dans une société qui n'a que dix ou vingt pour cent de sa population éduquée, on a moins de chances d'avoir des génies en nombre significatif, que celle qui a cent pour cent de sa population éduquée. Une population qui est éduquée dans sa propre langue a plus de chance de produire des génies, qu'une autre, éduquée en langue étrangère. Une population qui a un système éducatif intégré, a plus de chance d'avoir des génies et des créateurs, qu'une autre dont l'éducation est extravertie ou inadaptée. Mais devant toutes ces possibilités éducatives, l'Afrique est toujours du mauvais côté. Et ses dirigeants ne semblent même pas s'en rendre compte. C'est cela l'un des plus grands drames actuels du continent noir.

KI-ZERBO Joseph : Eduquer ou périr : impasse et perspectives africaines. Paris, Unicef-UNESCO, 1990.

Bétéo D. NEBIE

(neb_beteo@yahoo.fr)



12/03/2009
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