"Je les ai bien eus!" s'est-il sans doute écrié intérieurement après son discours de Dakar
Il est bien heureux que le président de la République de France ait eu l'opportunité de prononcer son discours fameux, ce jeudi 26 juillet 2007 à Dakar. Ce propos, quoi qu'on pourrait en dire, a eu le mérite de replacer un certain nombre de réalités dans leurs contextes historique, sociologique et psychologique.
Il est de prime abord assez significatif que le président français n'ait pas eu le courage intellectuel de dire le nom de l'endroit où il a été si bien accueilli pour s'adresser "à la jeunesse africaine". Il a bien affirmé qu'il était à "l'Université de Dakar ". Mais le nom du lieu est précisément : "l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar " ! Ce n'est pas du tout la même chose. Surtout quand l'on connaît les circonstances du "re-baptême" de ce célèbre cadre du savoir en Afrique. Le professeur Cheikh Anta Diop, Docteur d'Etat depuis 1960, scientifique multi disciplinaire émérite, avait été confiné depuis son retour au Sénégal, à L'Institut Fondamental d'Afrique Noire (IFAN) de l'Université de Dakar, avec interdiction d'enseigner. On peut penser que le président de la République sénégalaise d'alors, Léopold Sédar Senghor, n'avait pas pris tout seul cette décision gravissime d'empêcher le célèbre professeur d'exercer ses talents aussi bien scientifiques que littéraires. Il avait dû être conseillé pour ne pas dire qu'on lui avait suggéré cette conduite. Et pourquoi ? Parce que tout simplement Cheikh Anta avait déjà publié son fameux livre : " Nations nègres et culture " où il remettait scientifiquement en cause les fondements bancals de l'idéologie coloniale, les falsifications éhontées de l'Occident sur l'Egypte des pharaons, les affabulations grossières sur le nègre sauvage devant l'Eternel... La France n'avait nullement l'intention de mettre devant des étudiants noirs, un homme de cette dimension. Il était jugé trop dangereux. Pendant donc 22 ans, Cheikh Anta subit l'ostracisme. Senghor, parti de la présidence pour se consacrer à ses poèmes dans sa deuxième patrie, la France, le président Abdou Diouf permit enfin à Cheikh Anta Diop de faire ce qu'il avait toujours voulu : livrer son savoir aux générations montantes ! Il tint seulement quatre petites années. A sa mort, survenue en février 1986, les étudiants exigèrent et obtinrent que l'université de Dakar portât désormais son nom. On comprend donc pourquoi Nicolas Sarkozy ne pouvait point prononcer ces mots mortels pour lui, son pays, son continent : " Université Cheikh Anta Diop de Dakar " ! Et cela confirme particulièrement l'affirmation de Cheikh Anta, à savoir la conspiration du silence contre son œuvre, conspiration ourdie par le pouvoir politique français. Sarkozy pouvait-il transgresser une telle " omerta " ? Il ne l'a pas osé ! Et cette omission du président français éclaire le reste de son discours. L'ami autoproclamé des Africains ne demeure que lui-même : un "politicien confirmé ", un loup qui souhaite se glisser dans la bergerie à la faveur de la pénombre, pour mieux étouffer ces proies. On comprendra alors que son propos prétendument adressé à des amis soit de fait un tissu d'ignorance, de mauvaise foi et de contradictions.
L'ignorance
Nicolas Sarkozy ne sait pas que le conflit des générations qui est un invariant de la société occidentale ne prend pas les mêmes contours sur le continent noir. Sa décision de s'adresser aux fils sans passer par les pères est donc le comportement type du gros gaou*, qui n'a même pas l'intelligence de demander son chemin dans une zone inconnue. Le président français parle dans son discours de valeurs dont l'Afrique aurait besoin : " (Le défi de l'Afrique) C'est de s'approprier les droits de l'Homme, la démocratie, la liberté, l'égalité, la justice comme l'héritage commun de toutes les civilisations et de tous les hommes ". Il en parle comme de grandes valeurs que l'Europe, qui pour lui se confond facilement avec le monde, apporterait à l'Afrique. Au-delà de la beauté de la rhétorique, Nicolas Sarkozy confond ici les serviettes et les torchons et culmine dans l'abîme de l'ignorance. Il ne sait pas que l'égalité n'a existé nulle part au monde, et qu'aucune société intelligente ne perd son temps à la réclamer. C'est en effet un mythe. Ce qu'il faut aux peuples, c'est l'équité, la justice auxquelles tous les hommes ont droit. Sarkozy ignore que les fameux "droits de l'homme" existent en Afrique au bas mot, au moins au temps de Soundjata Kéita, c'est-à-dire aux alentours du XIII è siècle, alors que les siens datent de 1948, après la deuxième guerre mondiale. S'il avait eu connaissance de la Charte de Kurukan Fuga ou de la Charte des Chasseurs, il ne se serait pas autant égaré! Il ne sait pas non plus que la démocratie, qui semble être la panacée occidentale à toute gestion sociale, n'est qu'une pâle copie de valeurs africaines, qui datent du temps de Solon. Celui-ci en effet était venu s'inspirer du Code du pharaon Bocchoris, pour essayer de policer quelque peu une société grecque, dont la brutalité n'avait d'égale que la sauvagerie. " L'habeas corpus " qui résulta des Reformes de Solon est la véritable mère génitrice de la démocratie occidentale dont Nicolas Sarkozy se vante aujourd'hui. Le président français ne sait-il vraiment pas que le dernier grand génocide que l'humanité a connu, celui du Rwanda, est la résultante des actes occidentaux, notamment ceux des Belges ? Ces Belges n'ont-ils pas en effet, dès leur entrée dans cette contrée africaine, injecté peu à peu l'idée de race inférieure et de race supérieure dans une société qui n'en avait pas ? Et d'ailleurs, tout le monde espère que l'ami des Africains éclairera bientôt la lanterne du monde entier sur les agissements et la responsabilité précise de l'armée de son pays, la France, dans la phase de mise à feu des violences au Rwanda. Sarkozy parle d'écoles et de routes que les colons auraient construites en Afrique. Pour qui les ont-ils bâties ? Etait-ce pour développer l'Afrique ? Il ne faut point prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. De toutes les manières, si ces constructions étaient pour servir au développement de l'Afrique, il doit savoir qu'il y a comme un hiatus dans son raisonnement : comment en effet, ce continent aurait-il pu créer : " tant de civilisations brillantes " qu'il évoque dans son discours ? Ces civilisations ont-elles été créées par générations spontanées, et les Africains de ces temps marchaient-ils dans la brousse ? Et d'ailleurs, nous sommes pris d'un doute soudain : quelles sont-elles les civilisations africaines dont parle le président français ? Quant aux hôpitaux que les colons auraient aussi construits, s'ils étaient si incontournables, pourquoi ont-ils mis autant d'énergie à combattre les thérapies africaines, comme du reste aussi nos religions ? A ce niveau, il est étonnant que monsieur Sarkozy ait omis de parler du vrai Dieu que les colons auraient aussi apporté en Afrique ! Son raisonnement aurait été plus complet… Que connaît vraiment Nicolas Sarkozy de l'Afrique, pour se permettre des allégations du genre : " Je veux m'adresser à tous les Africains qui sont si différents les uns des autres, qui n'ont pas la même langue maternelle, pas la même religion, pas les mêmes coutumes, pas la même culture, pas la même histoire… " ? Voilà le discours type des ennemis de l'Afrique, ceux qui souhaitent intérieurement que jamais les Africains ne s'unissent sur quoi que ce soit. Puisque rien ne les rassemble. Les cinquante Afriques dont se délectent les vautours de tous les horizons ! Cela est particulièrement symptomatique qu'un président de République, de surcroît d'une ex-colonie, tienne un tel langage. C'est la preuve formelle qu'il ne souhaite aucunement que l'Afrique trouve la moindre aspérité à laquelle s'accrocher, pour sortir de l'ornière. Il est particulièrement contradictoire qu'un tel personnage dise qu'il souhaite l'unité de l'Afrique !
La mauvaise foi
Le président français affirme sereinement : " Je suis venu te dire (à la jeunesse africaine) que ta déchirure et ta souffrance sont miennes". Ignore-t-il vraiment que ces jeunes à qui il s'adresse savent parfaitement ce qu'il pose comme actes depuis qu'il est devenu un homme public, ou prend-il les jeunes Africains pour des gens qui boivent l'eau par les narines ? Comment peut-il être le plus grand scalpeur d'immigrés et le répressif invétéré qu'on connaît contre les immigrés négro-africains, et venir dire qu'il partage la souffrance de ses propres victimes ? Peut-on être plus cynique ? Même dans les basses manœuvres politiciennes, il devrait y avoir des limites… Il a insinué que pour lui : "les Africains ne sont pas de grands enfants" ; mais il a dit tellement de monstruosités, sans la moindre menace, la moindre incartade, la plus petite incivilité de la part de ses hôtes, qu'il doit s'être dit : "Je les ai bien eus" ! Sait-il que seuls les peuples de grande civilisation sont à même de réaliser de telles prouesses de contenance, de savoir-vivre ? La sagesse africaine a, en tout cas, bon dos d'assurer que : " La femme de mauvaise vie ne sait pas ce que dignité veut dire " ! Nicolas Sarkozy est certain que : " Nul ne peut demander aux générations d'aujourd'hui d'expier ce crime (la Traite négrière) perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères. " Donc les choses sont terminées. Il n'y a plus rien à faire ! Si le droit dont il se réclame permet cela, le nôtre ne le permet point ! Parce que sinon, la faute s'éteint avec la disparition du fautif, même si les enfants de celui-ci jouissent aujourd'hui, des fruits de l'oeuvre maléfique du père, et paisiblement ! Cela n'est point du droit, c'est de la force. Du reste, comment expliquer dans cette logique, les poursuites d'après guerres ? N'est-ce pas que lorsqu'un pays est vaincu, il peut être réduit à payer un tribut qui peut traverser les générations ? Cela existe-t-il ou pas ? Sinon, il faudrait que l'Europe arrête de poursuivre nos pays, pour des dettes imposées au temps de nos pères et qui bloquent actuellement le développement de l'Afrique. N'est-ce pas qu'il faille garder le parallélisme des formes ? Monsieur Sarkozy prétend que tous les peuples ont connu les mêmes étapes dans la marche des sociétés humaines : "Car chaque peuple a connu ce temps de l'éternel présent". Autrement dit : " Vous êtes en retard. Ne vous en faites pas, nous aussi sommes passés par la même étape. Continuez, vous êtes sur la bonne route ! ". C'est vrai que des " scientifiques " occidentaux soutiennent cela. Bachoffen et Engels l'ont fait sur la notion de patriarcat/matriarcat. Karl Marx a confirmé en maintenant que toutes les sociétés humaines ont traversé les mêmes étapes, et qu'elles marchent toutes, vers l'ultime : le communisme. Mais le développement de la sociologie moderne ne confirme pas ces positions d'une autre époque ! Au-delà donc de la suffisance, le président français n'a fait sur ce point précis, que de la mauvaise foi au mieux. Au pire il aurait encore réussi à faire étalage de son ignorance, comme cela s'est du reste confirmé tout au long de son discours, qu'il souhaitait historique. N'est-il pas contradictoire de prétendre être l'ami de l'Afrique, d'être venu lui parler franchement, et ne dire un traître mot du rôle funeste des dirigeants africains, ses amis et frères ? Cela ne confirme-t-il pas particulièrement que c'est bien Sarkozy et ses semblables qui tirent les ficelles de ces marionnettes singulièrement prédatrices pour le continent noir ?
La contradiction
Il était à prévoir qu'avec sa fumeuse démarche politicienne, l'assurance, sinon la suffisance qui l'animait, Nicolas Sarkozy prenait le risque de se contredire. Et la chose ne manqua point. Il assure en effet ceci : " Je suis venu te dire que tu n'as pas à avoir honte des valeurs de la civilisation africaine, qu'elles ne te tirent pas vers le bas mais vers le haut ". Et quelques lignes plus loin, il ajoute : " L'Afrique qui a connu sur son sol tant de civilisations brillantes ". Mais malheureusement, entre ces deux idées, il avait affirmé sereinement : " Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais il reste immobile au milieu d'un ordre immuable ou tout est écrit d'avance. Jamais il ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. Le problème de l'Afrique est là. " ! Le premier de tous les Français peut-il nous dire, comment on peut, dans un même mouvement, avoir des valeurs de civilisation qui tirent vers le haut et rester cependant immobile ? Comment peut-on ne pas être entré dans l'histoire d'un côté, mais avoir créé des civilisations brillantes de l'autre ? C'est vrai que Nicolas Sarkozy est la résultante et le résultat de la contradiction. Fils d'immigré, n'est-il pas en effet devenu le plus grand chasseur de prime d'immigrés devant l'Eternel ? Les Africains ont un adage qui assure que : " Si vous guérissez le paralytique en le remettant sur pied, il court plus vite que tout le monde " ! Il nous vient à l'esprit ce petit texte que nous avons lu, lorsque nous étions en classe de CP2. Quelque désuet qu'il puisse paraître (il date de quelques dizaines d'années), ce texte que l'on trouve dans "Les premières lectures de Mamadou et Bineta" (Librairie Istra, 1951, page 137) est assez instructif. Il s'intitule "Le moustique et le baobab". En voici la substance "Makari est vaniteux comme le Mamadou de la chanson. "Ma maison est la plus grande de toutes les maisons, dit-il ; mon père est l'homme le plus riche du village ; ma mère a les plus jolis pagnes ; mon frère est le plus fort de tous les garçons. Et moi, regardez-moi ; écoutez-moi : je suis beau, je suis savant, mon maître n'a jamais eu un aussi bon élève. Quand je serai grand et que je quitterai l'école, l'école sera une pauvre école : elle aura perdu son meilleur écolier ". Le vieux Moctar, qui l'a entendu, se met à rire. " Makari, je vais te raconter une histoire. Un moustique était posé sur une feuille d'un très gros baobab. Au moment de partir, il dit à l'arbre : attention ! Tiens-toi bien, je vais m'envoler ! Toi, Makari, tu parles comme ce moustique."
* Ignorant, grossier |