Africa Renaissance

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Paradoxe

Le paradoxe de la « super puissance »

 

            Il semble acquis que l'humanité soit passée de la force à loi, de la raison du plus fort à la raison du court.  On dit donc qu'une société est civilisée lorsqu'elle a fait suffisamment la rupture entre la force et la loi comme mode de règlement des conflits entre ses membres.

Comment cela se fait-il que la « super-puissance » soit aujourd'hui acceptée comme référentiel de civilisation ? Hier, c'était les Etats Unis d'Amérique et l'Union Soviétique qui se partageaient ce « privilège » de « super puissants ». Après la chute du Mur de Berlin et le déclin du « communisme », il ne reste plus que les Etats Unis. Et voilà les Américains qui se pavanent tout seuls dans la cour du monde, torse bombée à l'extrême ! Ils font ce qu'ils veulent, changent unilatéralement les conventions les plus sacrées, violent les lois les plus essentielles et le disent haut… Qui n'est pas content ?

 Or, cette situation devait non seulement soulever la conscience des peuples « civilisés » (puisque apparemment les Américains ne le sont plus et pour cause), mais (et cela aussi doit en fait exister), les Américains encore conscients, devraient tirer fortement sur la sonnette d'alarme. Jamais la « puissance » ne saurait être une valeur, encore moins une référence de civilisation !  En effet, cette réalité (la force pour parler terre à terre), qui a probablement été la marque incontestable du leadership de tous les groupes d'animaux aussi bien que des hommes, a été éliminée (au niveau des sociétés humaines) au profit de valeurs plus conformes à l'idée que l'on doit se faire d'une société civilisée ! Précisément, c'est parce qu'avec le temps, les hommes s'étaient rendu compte des limites de cette force, qu'ils lui avaient préféré la loi !  La force est trop limitée pour gouverner des hommes : d'abord, on n'est jamais toujours le plus fort ; de plus les problèmes humains sont si complexes, que la seule force se trouve inadéquate à les résoudre tous. Il y a d'autres raisons encore ! Comment les hommes en sont-ils arrivés au point qu'aujourd'hui, ils préfèrent la force à la loi, puisqu'ils accordent une importance à la « puissance » dans leurs valeurs civilisationnelles ?   

La société humaine est devenue si folle dans sa recherche de bien matériel, qu'elle oublie les fondements qui lui ont fait progresser jusqu'ici : la recherche inlassable d'être plus humain, plus juste ! Actuellement, les leaders du monde nous entraînent vers l'abîme tout en prétendant vouloir réaliser notre bien-être. Il est temps que les hommes se recentrent sur l'essentiel : la solidarité, la tolérance, la coexistence pacifique, le bien-être dans la spiritualité... La force  à outrance est un leurre, elle ne pourra jamais construire un monde de paix et de bonheur. Jamais ! La domination des faibles par les forts ne réalisera jamais le bonheur, ni des uns encore moins des autres ! Le parcours de l'Homme est formel sur ce point !

L'histoire doit servir. Quand est-ce que une société fondée sur la force, donc le déséquilibre, la volonté individuelle, en un mot l'injustice, a-t-elle perduré ou même laissé des traces remarquables ? Si la société occidentale a connu autant violence et de barbarie à travers le temps, n'est-ce pas précisément parce qu'elle a toujours eu cette tendance malheureuse à la domination qu'on retrouve même dans leurs livres sacrés ?

Restons tout de même  conscients des limites de notre discours. On nous traitera peut-être de fou, de quelqu'un qui n'a rien compris, ou même de religieux en mal de prêche ! peu importe en réalité. Concernant toutefois  le problème que nous évoquons, il ne faut jamais oublier que les anciens Grecs avaient soutenu que « Jupiter rend fous ceux qu'il veut perdre » ! Tous ces laudateurs de la force ne sont-ils pas devenus fous ?  Il semble que le Créateur ait trouvé indispensable l'existence du « mal »  à côté du « bien », comme les deux pieds qui font marcher, comme le jour et la nuit dont chacun joue son rôle pour les êtres et les choses, comme le mâle et la femelle qui perpétuent à deux, l'œuvre de création qu'Il a initiée ! Mais chaque chose devrait être à sa place, jouer son rôle sans jamais chercher à prendre la place de l'autre. C'est la raison pour laquelle nos ancêtres de la Vallée du Nil avaient ce mot juste qu'ils enseignaient aux initiés : «  Il y a un temps pour chaque chose ; un temps pour l'harmonie, un temps pour l'anarchie et nul ne peut changer la marche des étoiles » !  Combien d'entre nous pensons réellement que la force à la place de la Loi soit une attitude de civilisation ? Ne sommes-nous pas à la veille de grands bouleversements, annonciateurs de lendemains incertains ?

 

Cheikh Anta DIOP : Civilisation ou barbarie : anthropologie sans complaisance. Editions Présence Africaines. 1981

 



14/01/2008
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